CORDE VOCALI II

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  • 29 juin 2023

CORDE VOCALI II, 2023

Soie – coton – toile de jute 210×55 cm

Déchirer, couper en morceaux… Ces gestes que Pauline Guerrier répète inlassablement pour créer ses œuvres évoquent littéralement la transcription étymologique du mot « anatomie ». Issu de la combinaison de deux mots grecs – « ana » qui signifie en « haut » ou « vers le haut » et de « tome » qui signifie «couper » -, le terme « anatomie » désigne l’étude de la structure interne d’un organisme, en particulier par la section des tissus. En poussant plus loin la réflexion sur les racines des mots, remarquons que « anatomie » partage une origine commune avec le mot « atome » : les deux proviennent du grec « atomos » qui signifie « indivisible» ou « incoupable ». Anatomie et atome, deux termes lointains, qui pourtant partagent un même destin et portent en eux une énergie mystique dévoilée par les mains de Pauline Guerrier. L’artiste déchire les tissus pour les tendre dans les hauteurs, de l’intérieur du corps où les secrets de la chair sont bien gardés, vers la plus petite unité de la matière invisible et indivisible car essence de la vérité entière des lois de l’univers. Au regard de ces éclairages, il devient évident que pour Pauline Guerrier, l’acte de créer reflète une quête spirituelle et humaniste, une expérience intime pour accéder à un réel entre matière et esprit. Corps humain, animal, végétal et céleste, l’artiste investit l’anatomie du vivant comme un guide qui mène à travers les vallées de la chair et les montagnes d’os. Ainsi, ses tableaux Corde Vocali translatent – traduisent dans une autre langue -, des schémas anatomiques du larynx et des cordes vocales, dans différents états, en des paysages monumentaux silencieux où l’éloquence s’écoute par les couleurs. Cet infra-langage chromatique se rattache aux expressions des émotions, telles qu’avoir « un nœud dans la gorge ou le souffle coupé », « rester sans voix » ou « boire ses paroles ». Cette palette émotionnelle du corps doit s’appréhender dans l’œuvre de Pauline Guerrier, comme des créations synesthésiques, autrement dit, des images du phénomène neurologique qui se caractérise par une fusion des sens de la personne synesthète (qui peut entendre des goûts ou sentir des notes de musique, par exemple). Si « être rouge de colère » peut causer des maux de têtes et une tension artérielle élevée, ou que « broyer du noir » peut causer des insomnies, l’artiste associe précisément la couleur de nos émotions aux maux du corps pour interroger ces perceptions croisées.

texte de Anne Laure Peressin pour l’exposition Ad Mire.